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Discrimination raciale dans l’entreprise : le dispositif juridique reste à améliorer
Michel Miné Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnam/Cnrs
Le président de la République Emmanuel Macron a affirmé, lors de son allocution du 14 juin, que la France sera intraitable « face au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations ».
Hyejin Kang / Shutterstock
« Notre combat doit se poursuivre et s’intensifier pour permettre d’obtenir les diplômes et les emplois qui correspondent aux mérites et talents de chacun, et lutter contre le fait que le nom, l’adresse, la couleur de peau réduisent encore trop souvent dans notre pays les chances que chacun doit avoir », a-t-il rajouté. « Nous sommes une nation où chacun, quelles que soient ses origines, sa religion, doit trouver sa place. Est-ce vrai partout et pour tout le monde ? Non, notre combat doit donc se poursuivre, s’intensifier ».
L’urgence d’agir contre les discriminations liées aux origines a été récemment soulignée par le Défenseur des droits.
Dans ce combat, le droit est une ressource essentielle. Or, le droit interne, malgré ses progrès, grâce au droit international des droits de l’homme et au droit de l’Union européenne, demeure à améliorer pour répondre à ces ambitions.
Certes, le droit interne interdit la discrimination dans l’emploi et dans le travail au regard de plusieurs critères liés à l’être ou à l’agir des personnes (sexe, orientation sexuelle, état de santé, situation de handicap, activités syndicales, etc.). Ainsi, la discrimination raciale est prohibée par la loi : aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en lien avec « son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race ».
Le droit interdit toutes les discriminations avec la même intensité. Cependant, il ne prévoit pas des leviers comparables pour agir contre toutes les discriminations, pour les identifier et les faire cesser. Le droit n’offre pas les mêmes ressources à mobiliser suivant les critères de discrimination.
Dialogue social
Ainsi, en matière de dialogue social, dans toute entreprise où est présente une organisation syndicale représentative, l’employeur et le syndicat doivent négocier un accord d’entreprise en vue d’assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Un régime juridique complet est prévu (contenu des négociations, périodicité, informations à communiquer par l’employeur aux délégations syndicales, etc.). Aucune disposition de même nature ne figure dans la loi concernant d’autres discriminations, notamment la discrimination raciale.
Dans une formulation très générale, dépourvue de précisions sur les modalités concrètes, le code du travail dispose qu’une négociation porte sur : « les mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d’emploi et d’accès à la formation professionnelle ».
Cependant, il est possible, depuis les ordonnances de l’automne de 2017, de décider par accord d’entreprise, signé par l’employeur et les délégués syndicaux, de ne pas négocier sur les différents critères de discriminations (hormis la discrimination sexuelle).
Concernant les procédures d’information et de consultation des élus du personnel, le comité économique et social doit recevoir de l’employeur, dans toute entreprise d’au moins 50 salariés, des informations, notamment dans la base des données économiques et sociales, concernant la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise sur de nombreux sujets (rémunérations et déroulements de carrière notamment).
Par contraste, ici encore, aucune disposition de même nature n’est prévue concernant d’autres discriminations, notamment la discrimination raciale.
Légalement, il est donc possible dans les entreprises, y compris celles où sont présents des syndicats et des élus du personnel, de ne pas traiter dans le cadre du dialogue social la question de la discrimination raciale à l’embauche et dans la vie professionnelle.
Il est pourtant nécessaire d’examiner au plus près les processus de gestion du personnel (politique d’accueil en stages, de recrutement, de rémunération, d’accès à la formation et de reconnaissance des diplômes, de promotion, etc.) pour vérifier l’absence de discrimination, directe ou indirecte, volontaire ou non, en mobilisant toutes les parties prenantes de l’entreprise.
Le droit interne n’apparaît pas ici en pleine conformité avec les préconisations des directives de l’Union européenne, adoptées il y a 20 ans aujourd’hui. Ces directives demandent aux États de favoriser le dialogue social en matière de discrimination raciale et au regard d’autres critères.
Les partenaires sociaux ne sont pas restés inactifs. Ainsi, ils ont conclu, le 12 octobre 2006, un Accord national interprofessionnel « relatif à la diversité dans l’entreprise ». Cet accord prévoit notamment qu’une fois par an l’employeur réunira les représentants élus du personnel et les délégués syndicaux en « comité élargi de la diversité » pour faire le point sur la situation dans l’entreprise en la matière.
Cependant, cet accord peine à être mis en œuvre dans la plupart des entreprises, à quelques exceptions près.
En revanche, une procédure d’alerte peut être déclenchée par un représentant élu du personnel, du comité social et économique, en cas de discrimination au regard de tous les critères et cette procédure s’avère performante dans les faits.
Au niveau des branches professionnelles, la loi prévoit des négociations en matière de discrimination pour deux critères : le sexe et le handicap (avec des résultats encore limités). Les autres critères de discrimination sont ignorés, notamment la discrimination raciale. Ainsi, aucune disposition n’est prévue concernant la réévaluation des emplois majoritairement occupés par des personnes étrangères ou d’origine étrangère, alors que de telles dispositions existent concernant les emplois majoritairement occupés par des femmes (dispositions, légales de 2014 et conventionnelles de 2013, très pertinentes, mais demeurant encore bien peu effectives).
Action en justice
En matière de contentieux, tous les actes discriminatoires sont interdits par le code du travail, notamment en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification et de promotion. Toute mesure et tout acte discriminatoires peuvent être contestés devant le juge civil (conseil de prud’hommes) pour en obtenir l’annulation et la réparation.
Cependant, il en est tout autre en droit pénal devant le juge répressif. Le code pénal prévoit des sanctions uniquement quand la discrimination, notamment raciale, consiste « à refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne » et « à subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise » à une condition fondée sur un critère de discrimination.
Ainsi, un employeur, en qualité de personne physique et de personne morale, peut être poursuivi et sanctionné par le juge pénal (tribunal correctionnel) pour refus d’embauche ou pour offre d’emploi discriminatoire.
En revanche, le droit ne prévoit pas qu’il soit pénalement sanctionné en cas d’affectation discriminatoire, notamment en cas d’ethnicisation de l’organisation du travail : aucune infraction n’est prévue en ce cas.
Aucune infraction ne peut lui être reprochée en cas de discrimination en matière de rémunération, de déroulement de carrière, etc. Concernant ces mesures discriminatoires, seules des actions civiles sont possibles (discrimination concernant la reconnaissance des diplômes, la rémunération et le déroulement de carrière).
Pourtant, par ailleurs, le droit pénal, prévoit que toutes les discriminations, notamment en matière de rémunération et de déroulement de carrière, concernant les activités syndicales et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, peuvent être sanctionnées pénalement. Le droit pénal dit l’interdit ; il serait donc souhaitable que des dispositions comparables existent pour tous les critères de discrimination.
Harmonisation nécessaire
Pour rendre le droit plus efficace et plus effectif au bénéfice des personnes discriminées et pour assurer la cohésion de la Cité, il est nécessaire de procéder à l’harmonisation du droit, à son « égalisation dans le progrès », selon la belle formule du droit européen.
Une telle évolution est indispensable notamment pour les Français, jeunes et moins jeunes, dits « d’origine étrangère ». Après leurs études et leurs formations, avec leurs titres et leurs diplômes, les entreprises doivent permettre à ces personnes comme aux autres d’y exercer leurs talents.
L’absence de discrimination dans l’emploi est une réponse nécessaire à toute forme de « communautarisme » ou de « séparatisme ». La justice sociale dans le travail est nécessaire pour permettre la participation de tous les citoyens dans la République.
Et pour rendre le droit effectif, pour le connaître et savoir en faire bon usage, la formation des acteurs à ne pas discriminer est nécessaire.
Michel Miné, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnam/Cnrs, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
L'auteur
professeur titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne